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Nouveau CD chez Suoni e Colori - Romances de Youri Chaporine et Gueorgui Sviridov - par Mariam Sarkissian et Artur Avanesov
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Nouveau CD chez Suoni e Colori - Romances de Youri Chaporine et Gueorgui Sviridov - par Mariam Sarkissian et Artur Avanesov

Paris 05 (75005)

Mélodies de Youri Chaporine et Gueorgui Sviridov sur des vers d'Alexandre Blok, dont la première mondiale du cycle de mélodies ''Jeunesse lointaine'' de Youri Chaporine

Mariam Sarkissian, mezzo-soprano
Artur Avanesov, piano

Suoni e Colori 2014

Les quinze premières années du XXe siècle sont marquées par une éclosion sans précédent de la littérature, des arts, de la philosophie et de la pensée sociologique, que l’on a coutume de considérer comme le « Siècle d’argent » de la culture russe. L’une de ses figures centrales était le poète Alexandre Blok (1880-1921) que sa cadette Anna Akhmatova a qualifié de « ténor tragique de son époque ». Mais même si une note tragique résonne effectivement dans la poésie de Blok, le spectre émotionnel de son œuvre ne se résume absolument pas à des couleurs sombres. Ce n’est pas une coïncidence si, dans l’un des poèmes de son cycle Les Iambes (1907-1914), il s’exclame, parlant de lui-même à la troisième personne :

On lui pardonnera la morosité,
Est-ce vraiment Son moteur caché ?
Il est tout entier l’enfant du bien et de la lumière,
Il est tout entier le triomphe de la liberté !

Il y avait sans aucun doute malgré tout en Blok quelque chose d’un « ténor », soliste brillant, extraverti, égocentrique, flattant les oreilles par des mélodies chantantes. Ses meilleures poésies sont extraordinairement musicales. Blok lui-même décrivait ainsi son processus créatif : « Lorsqu’une pensée me poursuit sans relâche, je recherche douloureusement la sonorité dont elle doit se revêtir. Et en fin de compte, j’entends une mélodie. Ce n’est qu’alors qu’arrivent les mots. Il faut veiller à ce qu’ils reposent exactement sur l’intonation, qu’ils ne contredisent nullement une sonorité. Il n’y a pas de création sans pensée. Et pour moi, celle-ci s’incarne principalement, qui sait pourquoi, sous forme de son. » Une telle poésie se prête de façon exceptionnelle à la musique, et il ne faut pas s’étonner qu’après Pouchkine, ce soit Blok qui, parmi les poètes classiques russes, compte le plus grand nombre de vers mis en musique.

Ce disque contient des mélodies sur des vers de Blok appartenant à la plume de deux compositeurs unis par un attachement particulier à sa poésie, mais, pour le reste, très différents. L’aîné d’entre eux, Youri Alexandrovitch Chaporine (1887-1966) a débuté sa carrière avant même la révolution de 1917. Il a étudié à l’université et au conservatoire de Saint-Pétersbourg et a connu personnellement le poète. A l’époque soviétique, Chaporine est devenu une figure en vue de l’establishment musical et sa symphonie-cantate monumentale La bataille de Koulikovo (1939) principalement basée sur le cycle de poésies du même nom de Blok, est considérée comme le sommet de son œuvre. Chaporine a composé d’autres opus d’envergure, comme l’opéra les Décembristes (1953) qui a l’époque a été présenté en URSS comme un modèle du genre historico-patriotique. Mais la partie la plus durable de son héritage consiste sans aucun doute dans ses mélodies pour voix et piano sur des paroles de poètes classiques russes, et avant tout, bien entendu, de Pouchkine et de Blok. Les meilleures d’entre elles se distinguent par la plasticité de la ligne mélodique, la richesse de la partition de piano, la sensibilité envers les méandres sémantiques du texte poétique ; par leur langage musical, elles rappellent fréquemment le lyrisme vocal romantique, riche en recherches harmoniques, de Tchaïkovski et de Rachmaninov.

On peut résolument ranger le cycle de dix mélodies Jeunesse lointaine, op. 12 (1939) parmi les sommets de la musique de chambre vocale russe du XXe siècle. Chaporine a choisi pour celui-ci des textes de caractère intime, principalement nostalgique. Ils sont composés d’une série de souvenirs sur des amours passés, sur un bonheur connu naguère ; le parallèle s’impose de lui-même avec Dichterliebe (les Amours du poète) de Schuman. Le cycle est précédé d’une épigraphe de Gogol « Oh ma jeunesse… » constituée de trois mots seulement, mais dont toute personne de culture russe reconnaîtra aisément le contexte. Il s’agit du monologue poétique extrait du chapitre 6 du tome 1 des Ames mortes dans lequel Gogol expose combien un adolescent immature et un homme las, au crépuscule de sa vie réagissent différemment aux impressions nouvelles d’ : « Aujourd’hui […] j’envisage froidement […] ce qui autrefois provoquait chez moi instantanément un grand éclat de franc rire, et une heureuse animation dans mes traits et mes mouvements, passe maintenant devant mes regards comme inaperçu, et ma bouche, détenue immobile de froideur, ne trouve plus rien à dire de ce spectacle […]. O ma jeunesse ! O ma belle ingénuité ! »

Dans le cycle de Chaporine, ce désenchantement et cette lassitude se condensent vers la fin. Dans les premières mélodies, on ressent encore des traces de l’énergie de la jeunesse, quoique voilée d’une légère mélancolie. La musique s’anime d’éléments de virtuosité et de tableaux de genre : les passages au piano « illustrent » délicatement un orage printanier (« C’était le soir »), et le bruit léger du vent (« Le vent venu de loin ») ; la mélodie « La fumée d’un feu de bois » est basée sur un rythme de valse, et dans certains passages mélodiques et harmoniques de la mélodie « Je suis grisé par le silence » on ressent une parenté avec le genre de la pastorale. Le numéro cinq du cycle, « Par delà les montagnes et les forêts », semblable à un long monologue d’opéra plein de recueillement, marque une coupure dans l’humeur générale ; la note élégiaque effleurée ici résonne avec encore plus de force dans la sixième mélodie « En un lent cortège décline la journée d’automne ». Le numéro suivant, « Ta voix chaude évoque le Sud », revient au genre de la valse, représenté ici dans une version plus « décadente », délicatement sensuelle, que dans « La fumée d’un feu de bois ». Cette pièce joue dans le cycle un rôle d’intermezzo, créant un fond contrasté pour les trois derniers numéros, (« Naguère de longues tristesses », « Je revois un scintillement oublié », « Cette vie est passée »), les plus pleines d’émotion et les plus touchantes. C’est à ce « triptyque » qui clôture le cycle que l’épigraphe des Ames mortes se rapporte plus particulièrement, car c’est en lui que la tristesse de la jeunesse passée et du bonheur perdu a trouvé son expression la plus concentrée.

La sélection des mélodies de Chaporine est complétée sur ce disque par trois autres pièces sur des vers de Blok, « Partout, par les forêts et par les champs », « Servus - Reginae » et « Le son se rapproche ». Les deux premières sont assez simples, mais la troisième se déploie en un tableau sonore plein d’ampleur, saturé de mouvement, comparable par la perfection de la forme et la force d’action aux numéros culminants de La jeunesse lointaine. Chaporine a inclus cette mélodie au cycle Elégies, opus 18 auquel il a travaillé de 1940 à 1945.

Gueorgui Vassilievitch Sviridov (1915-1998) a étudié au conservatoire de Léningrad dans la classe de composition de Dmitri Chostakovitch. En général, l’influence de celui-ci sur les jeunes compositeurs soviétiques a été extrêmement importante, mais Sviridov, à la différence de la majorité des autres élèves du plus grand classique de la musique soviétique, s’en est libéré assez vite. Les œuvres de la maturité de Sviridov sont indissolublement liées à la parole ; celles de la période 1950-1990 sont dominées par des cycles vocaux pour solistes ou chœurs (certains d’entre eux sont appelés par l’auteur « poèmes ») et des cantates sur des vers de poètes russes du XIXe et du XXe siècle. Si Chaporine dans le genre lyrique vocal est proche de Tchaïkovski et de Rachmaninov, le principal précurseur et point de repère de Sviridov est Moussorgski, compositeur plus réservé, attiré par le folklore russe et l’archaïsme, économe en matière d’harmonie et de facture. L’art de Sviridov, solidement enraciné dans l’élément de la langue russe et dans les couches profondes de la mentalité russe, est relativement peu connu en dehors de la Russie, mais très populaire dans son pays.

L’une des principales œuvres de Sviridov est le cycle vocal (« poème ») pour voix et piano Pétersbourg. Le compositeur a choisi pour celui-ci neuf poèmes de Blok qui n’ont qu’un point commun, ils ont tous trait à la capitale de l’Empire russe, avec son aura traditionnellement froide, mystique, souvent sombre, parfois sinistre. La première des mélodies incluse dans Pétersbourg est parue au début des années 1960 et le poème n’a pris sa forme définitive qu’en 1995, l’année du quatre-vingtième anniversaire du compositeur.

Les composantes du poème Pétersbourg peuvent également être exécutées séparément. Trois d’entre elles ont été enregistrées pour ce disque. La première mélodie, La girouette, est l’une des miniatures vocales les plus populaires de Sviridov. Son pivot est l’accord parfait de ré b majeur, battu à un rythme régulier de triolets. Grâce à une succession d’accords « enfilés » sur celui-ci dans les registres supérieur et inférieur du piano se crée un fond riche en harmoniques (des clochettes) pour la ligne vocale. Par des moyens simples, choisis avec justesse, le compositeur évoque un espace en relief disparaissant dans le lointain, image sonore de cet « abîme bleuté » et de ces « lointains brumeux » évoqué dans le poème profondément métaphorique de Blok. Une simplicité d’un autre ordre, dans l’esprit d’une chanson citadine à coloration folklorique, mais avec des détails trahissant la main d’un maître raffiné, apparaît dans la mélodie « La fiancée ». L’élément de haute religiosité présente dans celle-ci est développée dans la dernière et sans doute la plus profonde des mélodies du cycle, intitulée La Vierge dans la ville. Dans ce poème, comme dans beaucoup d’autres œuvres de Blok (y compris « La Girouette », déjà citée), le « tableau » de la vie quotidienne se transforme en un symbole solennel, inspirant la vénération. La force artistique de la miniature de Sviridov, comme c’est le cas dans les autres des meilleures pièces du compositeur, réside dans le contraste entre la richesse de la symbolique contenue dans les vers et la simplicité étonnante, presque naïve de leur incarnation musicale.

Levon Hakopian

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